simple prière

Reira entra dans le temple. Elle fut surprise du désordre qui y régnait : bâtons d'encens consumés, fleurs fanées éparses sur le sol, poussière.

*Cela fait longtemps que personne n'est venu ici, même pas Ryuji. C'est plutôt triste.*

Reira entreprit aussitôt de nettoyer tout ce fourbis. Une fois le ménage fait, elle disposa des fleurs fraîches dans les vases et alluma quelques bâtons d'encens neufs.

*Ce temple a quand même meilleure allure maintenant.*

Reira s'agenouilla enfin pour méditer. La fatigue physique due à sa maladie la mettait dans un état de demi-conscience, son esprit se détachait plus aisément de son corps.

La vie n'est que passage. Chaque jour qui se couche n'est qu'une petite mort, et chaque jour qui se lève est une renaissance. La vie est une offrande comme l'est l'eau vive pour le voyageur assoiffé. La mort n'est que le commencement de tout, alors pourquoi je t'en veux tant de m'avoir laissée ici ? Moi aussi je suis fatiguée de vivre, et pourtant j'ai été forte, je suis restée. Tu m'as abandonnée, Gabriel, tu m'as abandonnée. Tu m'as menti : "ensemble pour toujours, nous deux ne faisons qu'un." Tes paroles se sont effritées comme du sable. Je n'arrive même plus à savoir si je t'aime vraiment.

En repensant comment il l'avait soutenue pour lutter pendant sa maladie, Reira fut prise de remord. Elle n'avait pas à prononcer ces paroles. Mais on ne peut pas s'empêcher de ressentir les choses. Ce n'était pas dans ses habitudes de mentir ou de dissimuler.

Je te dois beaucoup. Mais je t'ai donné plus encore. Je t'ai permis de goûter au repos en me chargeant seule du lourd fardeau qui nous était assigné. Je ne regrette rien, sauf le fait de ne pas t'avoir à mes côtés aujourd'hui pour savourer notre victoire.

Reira resta longuement assise sur le sol, le regard perdu dans le vide, perçant la réalité au-delà de ces simples murs de pierre, absente.

Ryuji garda un moment le silence, avant de dire :

Je resterai toujours un étranger pour toi.

*Il y a trop d'énigmes à résoudre pour te comprendre. Nous n'avons même pas la même nature, la même essence. Je voudrais te saisir et tu m'échappes comme l'air entre mes doigts.*

Reira restait muette, le regard droit devant elle, comme absente.

... non.

Ce mot brisa le silence intérieur qu'elle avait établi en elle, résonna curieusement à ses oreilles. Elle se tourna vers Ryuji, le regardant de ses grands yeux liquides.

Non, tu ne m'es pas étranger. Il suffit d'accepter l'idée de ne pas pouvoir me comprendre, c'est tout.

*Chère petite âme tourmentée, j'en souris intérieurement...*

Tu ne pourras jamais être un substitut de Gabriel, tu ne le peux pas, et je ne le veux pas non plus. Vous êtes tous les deux uniques et profondément différents. Je vous porte chacun dans mon coeur pour des raisons différentes.

Mais est-ce suffisant ?

*Il le faudra bien pourtant, que cela suffise.*

Ryuji se pencha vers Reira et l'embrassa. Une odeur poudrée, de lys et d'iris. Il l'associerait toujours à elle à partir de cet instant-là.

Je sais que tu ne m'aimes pas. Je ne te demande qu'une chose, c'est de me laisser t'aimer. Un peu de tendresse, un regard, un sourire, ça me suffira largement.

Ryuji serra la jeune fille dans ses bras, enfouissant son visage dans les longs cheveux blonds et soyeux.

Reira prit doucement le visage de Ryuji entre ses mains, le regardant bien en face de ses larges yeux verts, et lui murmura avec douceur :

mais est-ce que ce sera suffisant ?...

Elle se releva et sortit du temple, sans attendre de réponse.

[au parc]

Ryuji resta un moment agenouillé après le départ de Reira. Le parfum de la jeune fille flottait dans l'air, comme une partie d'elle qui serait restée ici.

*Est-ce que cela me suffira ? oui, bien sûr, je ne le lui aurais pas proposé sinon.*

Ryuji sentit tout de même qu'il y avait une part de vérité résonnant dans les mots de Reira.

*Si je trouve une autre personne à qui je porterais autant d'affection, cette fois-ci avec une réciprocité, cette situation pourra-t-elle toujours me convenir ? Non, ce ne serait qu'une mascarade. J'aime Reira, mais à quel prix ?*

Songeur, Ryuji sortit du temple.

[bains]

Yasu entra dans le temple. Il vit avec plaisir que des personnes plus fidèles que lui avait nettoyé et disposé des fleurs et de l'encens. Il alluma lui-même quelques bâtonnets et déposa un bouquet sur l'autel.

Yasu, après être resté assis un long moment à méditer, sorti complètement calme et apaisé. Il avait retrouvé sa maîtrise de lui-même qui lui était habituelle.

[ruelles Minami]